En 2007, Steve fait parler de lui en révélant ce qui propulsera Apple au summum du cool. Vous vous souvenez ? Il répétait en boucle : an iPod, a phone, an internet communicator. Allez, ensemble : un iPod ! un téléphone ! un navigateur ! - et oui, c’est l’iPhone.
Attendez. Vous ne trouvez pas qu’il manque quelque chose ? Où est l’App Store ? Les applications à tout et rien faire ? Mais si vous savez, there is an app for that! On avait une application pour envoyer des “yo”, pour se retrouver notre votre voiture, savoir si il fait nuit dehors, texter avec les gens dans un périmètre d’1 km, etc.
Alors pourquoi Steve ne parle pas d’applications ? La réponse c’est qu’il n’y en avait pas au lancement de l’iPhone ! Il disait que les gens n’avaient qu’à faire des applications webs et qu’elles fonctionneraient bien dans Safari (le navigateur d’Apple), qu’il n’y avait pas besoin d’apprendre de nouveaux concepts ou outils, ni de risquer d’installer des virus. Ou peut-être que personne n’aurait été intéressé à l’époque pour en écrire de toute manière…
Mais c’est sans compter sur les jailbreakers qui ont commencé à écrire leurs propres applications pour l’iPhone… et qui au passage ont importé le mode de distribution des applications sous Linux : le gestionnaire de paquets et les dépôts. Contraint et forcé (j’en suis sûr), Steve craque, verrouille son iPhone, lance l’App Store en situation de monopole, et fait des milliards. Sacré Steve ! Et avec tout ces évènements, on arrive sereinement sur les années 2010. Il nous faudra attendre une décennie de plus pour découvrir le vrai génie de Steve…
Une décennie plus tard
C’est en fouillant dans ma boite à déchets électroniques, euh, de composants électroniques je veux dire, que j’ai retrouvé une relique d’un autre temps, un fossile vivant, bref, un iPhone 4S de mai 2011. C’est lui qui m’amènera à saisir la pensée si profonde du maître…
Après une petite nuit de recharge, je redémarre le smartphone en me demandant pourquoi donc cette pauvre bête a été abandonnée sur le bord de la route ? En attendant d’en savoir plus, me voilà sur l’écran d’accueil.
Tout semble complètement fonctionnel. L’affichage comme le tactile, le wifi comme le bluetooth, la caméra comme les hauts parleurs, tout est là ! Je me lance donc, direction le web, et les sites de Deuxfleurs.
Passé un premier problème avec HTTPS vite résolu (Deuxfleurs utilise un certificat qui n’existait pas à l’époque et qu’il faut donc rajouter), on peut naviguer sans peine et sans ralentissement sur les sites de notre association. Pourquoi ne pas aller plus loin, et voir si je peux “m’installer” dans ce téléphone ?
Rapidement, je connecte mon compte Deuxfleurs avec le protocole “Exchange”. Et voilà que je retrouve mes emails, mes contacts, et mon calendrier dans cet iPhone. Décidément, c’est bien conçu ces machines ! Je continue mon tour des applications, et voilà que je tombe sur l’application “Podcasts”.
Je rajoute donc mon émission préférée Mayday à l’aide du lien RSS fourni, le standard derrière les podcasts. Elle se charge sans problème et je peux commencer à l’écouter immédiatement. Je commence à me demander si je ne vais pas sérieusement adopter ce vieux téléphone, si compact et pratique ! Allez, plus que quelques applications à installer et ce sera parfait !
Et là c’est la douche froide. Plus aucune application pour cet iPhone n’est disponible sur l’App Store. Pourtant à l’époque, les gens pouvaient bien installer des applications dessus ? Mais ces anciennes versions d’applications sont devenues inaccessible car des nouvelles versions, compatibles seulement avec les nouveaux iPhones sont venues les remplacer.
Apple ne garde pas d’historique, estimant à raison, que les anciennes versions ne seraient de toute manière plus compatibles avec les services en ligne de leur éditeur. En effet, à l’ère des applications tiers, on peut proposer le service et l’application qui va ensemble, afin de contrôler toute la chaîne et ne plus avoir besoin de standard… Et donc ne plus décorréler l’évolution d’un service internet de son application, en un mot, ne plus créer des outils durables. Le temps des standards est derrière nous, ici il s’agit d’itérer vite et de garder ses clients captifs.
Voilà donc ce qui a rendu cet iPhone obsolète : le logiciel, les mises à jour et l’écosystème d’application tiers.
La leçon de Steve
Cet iPhone 4S est encore un témoin de l’idée originale autour de l’iPhone, d’un smartphone conçu sans application tiers. Pour créer un système cohérent malgré le fait qu’Apple soit un fabricant de matériel et non un éditeur logiciel, ses développeur·euses s’étaient alors appuyés sur un maximum de standards : Exchange, IMAP, CalDAV, CardDAV, RSS, HTTP, HTML, etc.
On voit aussi à travers ce smartphone qu’Apple avait déjà terminé son virage d’entreprise hégémonique. Son App Store est profondément intégré dans le système et aucun nouveau service basé sur des standards a été intégré depuis la sortie de la première version du téléphone. Depuis, Apple ayant une puissance de frappe considérablement plus forte, la société applique la même stratégie que les autres GAFAMs, en utilisant des protocoles maisons, non standardisés, et non stables dans le temps pour ses nouvelles applications maison.
Si cette obsolescence par les logiciels et les mises à jour est particulièrement percutante sur cet iPhone, elle vaut pour tous nos terminaux numériques, que ce soit nos ordinateurs, nos tablettes, nos smartphones, et ce, quelque soit leur marque.
Steve imaginait un téléphone où le logiciel était complètement pris en charge par le fabricant, et s’interconnecterait au reste du monde via des protocoles standard. Dans notre égoïsme, nous ne l’avons pas écouté et il nous a puni en nous montrant ce que donnait une économie de l’application débridée.
Nous t’avons entendu, Steve !
Trêve de plaisanterie, Steve Jobs était bien entendu complètement indifférent à ces questions, l’intégration de nombreux standards dans l’iPhone était une stratégie purement commerciale qui faisait sens dans le contexte de l’époque, où l’entreprise n’était pas hégémonique et où un modèle économique basé sur la vente d’application n’avait pas été imaginé. Il reste qu’une fois le temps passé, c’est bien ces standards qui nous permettent d’encore utiliser ce terminal malgré un terminal très peu puissant selon les standards actuels. (Débloquer les mises à jour ne serait donc pas très utile).
Bien sûr, il faudrait remettre en question le verrouillage du système qui empêche des développeurs tiers de prendre la relève en dehors du giron d’Apple, de pouvoir utiliser les applications de l’époque, etc. Mais il est fort à parier que même dans cette situation, l’usage de ce téléphone serait encore loin d’être idéal.
Il est donc clair que d’un point de vue écologique comme social, il est important de promouvoir et prendre soin de ces standards, pour pouvoir continuer à utiliser nos vieux téléphones et ordinateurs. La question qui se pose à Deuxfleurs est donc comment, à notre échelle, on peut participer à ces efforts ?
Le premier point est de commencer par dire que c’est possible, identifier ces protocoles et les logiciels de l’époque qui les supportent, et enfin montrer comment faire. Dans ce billet, j’ai pu donner l’exemple avec un iPhone 4S. La même chose est possible sur Android, sur un PC Windows, Mac OS X, ou Linux, et probablement sur d’autres plateformes.
Le second est de garder en tête cette volonté de suivre les standards : volonté qu’on ne retrouve pas chez les entreprises qui visent à verrouiller aux maximum un utilisateur dans leurs logiciel. Mais Deuxfleurs doit aussi rester vigilante au moment de construire son offre de service, afin d’être sûr qu’elle pourra s’intégrer avec du matériel généralement considéré obsolète. Aujourd’hui, le web, les emails et ses services attenants (calendrier, contact) ont fait leur preuve. Pour la question de la messagerie instantanée, la question se pose de manière de plus en plus pressante : si Matrix est un standard, ce n’est pas le plus ancien ni le plus léger. Mais des projets de serveurs de chat supportant plusieurs protocoles, dont Matrix et XMPP, semblent sur la voie, nous restons donc attentif·ves
Le troisième point est de contribuer activement à ces standards, à les adapter aux pratiques du moment sans délaisser les anciens terminaux. Garage est une première brique qui a pour objectif de rendre le web accessible au plus grand nombre, sans devoir passer par des “plateformes”. Nous avons aussi des projets encore dans les cartons pour les emails et pour les podcasts. Dès qu’ils se concrétiseront un peu plus, j’espère pouvoir en parler plus longuement par ici !
En conclusion, il est temps de mettre en lumière l’impact des choix de conception sur l’obsolescence de nos smartphones et de nos ordinateurs. Ces choix, réalisés en amont, ne peuvent plus être seulement guidés par des stratégies commerciales mercantiles et court-termistes, mais doivent prendre en compte les personnes et la planète. Plutôt que d’attendre un signal dans ce sens de la part des GAFAMs, il semble plus avisé de commencer par se ménager un espace en marge de ces multinationales, d’explorer les alternatives possibles, de débroussailler les chemins qui n’ont pas été pris, d’incarner une alternative, d’alerter l’opinion publique et de, pourquoi pas à terme, engager un rapport de force.
Quelques références
🔗 iPhone SDK: It’s called Safari
🔗 Jobs’ original vision for the iPhone: No third-party native apps
🔗 Matrix protocol added to ejabberd
🔗 Embrace, extend and extinguish
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