Puisqu’on est passé à la télé cet article méritait bien un titre un peu racoleur ! Vous êtes plusieurs à le savoir et même à l’avoir vu : nous apparaissons dans un reportage de TF1 sur le tourisme en Guinée ! C’est une agence de voyage qui nous avait contactés au mois de juin pour nous proposer de participer à une randonnée filmée par des journalistes. Pour combler le manque de touristes dans le pays depuis début 2020 l’agence avait cherché les coordonnées des rares Français basés dans la belle région du Fouta-Djalon : Justine, Hannah et moi !
C’est peu dire qu’on a été surpris de voir le résultat car le week-end ne s’est pas exactement passé comme cela a été raconté ! Le reportage montre une équipée de trois touristes emmenée par un guide Guinéen plus deux autres personnes non identifiées. La randonnée est éprouvante, semée d’embûches (un pont cassé, une tente bien difficile à monter…) mais la beauté des paysages et une petite baignade dans une cascade récompensent l’effort de nos voyageurs. Puis le reportage se poursuit dans une miellerie dirigée par Virginie, une Belge tombée amoureuse de la région il y a 20 ans et qui entend préserver sa biodiversité à travers les abeilles. Elle est filmée aux côtés d’une autre personne non identifiée. Conclusion du présentateur : un reportage « au cœur de l’Afrique » !
Pour commencer, l’Afrique sauvage et mystérieuse n’existe qu’à travers ce type de déclaration. On parle d’un continent qui fait trois fois la superficie de l’Europe (Russie incluse), qui compte plus de 2000 langues et au moins autant de réalités. Géographiquement le cœur de l’Afrique se situe plutôt…en Centrafrique ! Alors parler du Fouta-Djalon, situé à 300 km de la côte Atlantique, comme du cœur de l’Afrique, ça a autant de sens que de parler des Cévennes comme du cœur de l’Europe. Les randonneurs du chemin de Stevenson seront heureux d’apprendre que toute l’authenticité européenne se trouve là ! Le reportage montre donc un minuscule coin de l’Afrique qui est situé dans un pays bien identifiable : la Guinée.
Par ailleurs nous n’étions pas trois touristes mais quatre : nous avions proposé à notre collègue Hassatou de participer à cette randonnée. Elle est Guinéenne mais elle ne connaissait pas ce coin du Fouta : on appelle ça faire du tourisme, mais au montage on n’a pas jugé intéressant de la faire apparaître comme tel et on ne lui donne pas la parole de tout le reportage. De même, la personne non identifiée aux côtés de Virginie s’appelle Tibou, il a une licence en biologie et est l’associé de Virginie depuis qu’elle s’est installée dans le pays il y a 6 ans (pas 20 donc) : tous deux tiennent une maison d’hôte dont la miellerie n’est qu’une activité parmi d’autres grâce aux connaissances de Tibou en botanique. Idem, la caméra ne s’est pas attardée sur ce profil moins « parlant » qu’une Blanche pour l’audimat français.
Avec Hannah nous sommes présentés comme des « travailleurs humanitaires » (titre qui n’a aucun intérêt puisqu’on est là comme touristes) et Virginie symbolise le combat pour la protection de l’environnement. Pas un mot sur le combat d’Hassatou qui travaille dans la même ONG que nous depuis 5 ans ni de celui de Tibou qui œuvre à valoriser et protéger le patrimoine naturel de son pays depuis la fin de ses études. De même, la voix-off est celle de la journaliste française qui aurait dû prendre part à la randonnée…mais qui n’a pas obtenu son visa pour rentrer dans le pays ! Nous avons donc été filmés et interrogés tout le week-end par une équipe de journalistes ivoiriens. Ils travaillent dans la même boîte de production que leur collègue française : l’accent du scénariste, présent avec nous, était-il trop prononcé pour convenir aux oreilles des téléspectateurs de TF1 ?
L’Afrique racontée par des Blancs et sauvée par des Blancs. Pour information dans le milieu de l’aide internationale on compte en moyenne 1 expatrié pour 10 salariés locaux. Heureusement la nature est généreuse ! Les fleuves du Fouta-Djalon « approvisionnent les Africains en eau potable »… Ben non : comme partout ailleurs si les gens boivent directement l’eau du fleuve ils tombent malade. L’eau des fleuves est utilisée pour irriguer les champs, pour alimenter des barrages hydroélectriques et elle est filtrée avant d’arriver dans le réseau d’eau courante. Ce dernier étant assez dysfonctionnel la majorité des Guinéens boivent l’eau des nappes phréatiques qui est puisée ou captée par forage.
Venons-en au contenu du week-end ! Le deuxième larron non identifié pendant la randonnée est Bouba, qui a été…notre guide principal ! Celui qui s’exprime dans le reportage est le responsable de l’agence de voyage mais suite à un problème de voiture il n’a pu nous rejoindre que le dimanche à midi, pour les deux dernières heures ! Cellou est meilleur orateur que son collègue, c’est donc lui qu’on a fait passer pour le guide. Dans le même style, si vous êtes attentifs vous verrez qu’au cours d’une marche on a changé de vêtements ! Les images du samedi et du dimanche ont été mélangés pour les besoins de la narration. Ainsi on est censé avoir marché 5 heures et avoir été retardé par un pont cassé avant d’arriver à la cascade. En fait on est arrivé sur le site en voiture, on savait que le pont était impraticable et on a marché environ 30 minutes. La raison ? C’est que nos amis journalistes étaient venus avec deux grosses caméras, deux drones, un trépied…et qu’ils ont rapidement demandé à ce qu’on revoit le programme pour ne pas trimballer leur matos pendant des heures !
Cela avait créé pas mal de tensions la veille (3 heures de marche environ) entre l’arrivée de Bouba à la place de Cellou, la perte de temps pour réorganiser le circuit, le coucher de soleil que le cameraman avait raté… Pour couronner le tout lorsqu’on a déballé les tentes le samedi soir on s’est aperçu que la matériel n’était pas complet ! Pour mon amour-propre je précise que contrairement à ce qui est raconté je monte des tentes quasiment chaque été depuis une quinzaine d’années… Mais là encore c’est s’embarrasser de détails qui ne conviennent pas au story telling ! Cette organisation hasardeuse a valu à notre guide de dormir à la belle étoile…et de se réfugier dans la tente de Justine et d’Hassatou à 3 heures du matin quand on s’est pris un pluie diluvienne sur la tête ! Eh oui, c’est la saison des pluies, mais ça vous ne l’avez pas vu. Ni l’humeur de nos deux amies au petit matin, sorties de leur tente inondée, ni celles des journalistes excédés d’avoir dû partager une petite tente à trois avec tout leur matériel dedans.
Bien sûr les images sont fidèles à ce que l’on a vu : des paysages superbes ! Mais on regrette le manque d’honnêteté du reportage pour le reste, ses raccourcis et surtout son biais culturel. Tout ce qui différencie la communication de l’information.
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