Saviez-vous qu’il existe une section du projet Gutenberg dédiée aux autrices de science-fiction ? C’est dans ce rayon que j’ai trouvé cette brève nouvelle de Thelma Hamm. Voici ma traduction du texte original sous licence Project Gutenberg initialement paru dans un magazine américain de SF en septembre 1952 et dont le copyright n’a jamais été renouvelé.
Le dernier repas
Embarrassée comme elle l’était par l’enfant dans ses bras, la femme courait moins vite maintenant. Guldran éprouva une intense jubilation qui atténuait son sentiment de culpabilité : il avait désobéi aux ordres.
Les instructions étaient impératives et concises : « Aucune capture ne doit être tentée individuellement. En cas d’observation d’une forme quelconque de vie humaine, le vaisseau amiral DOIT être averti immédiatement. Toutes les navettes de reconnaissance doivent être de retour à l’aire d’atterrissage au plus tard une heure avant le décollage. Si l’une quelconque ne le fait pas, elle sera considérée comme perdue. »
Guldran pensa aux grands océans de neige et de glace qui se succédaient inexorablement depuis que la Terre avait vacillé sur son axe lors de la grande catastrophe du millénaire dernier. Désormais, été comme hiver, des coups de vent et des blizzards paralysants s’annonçaient, précédés par la neige poudreuse. Cette neige dans laquelle les pieds vêtus de peau de la femme avaient laissé les traces qui l’avaient mené sur sa piste.
Son esprit d’anthropologue chevronné spéculait avidement sur le peu qu’ils avaient obtenu du plus jeune des deux hommes trouvé près d’une semaine auparavant, presque gelé et à moitié affamé. L’homme plus âgé avait succombé presque aussitôt ; l’autre, dans le langage des signes le plus primitif, avait indiqué que, de plusieurs humains vivant dans des grottes à l’ouest, seuls lui et l’autre avaient survécu pour échapper à une mystérieuse terreur. Guldran eut soudain pitié de la femme et de son enfant, abandonnés par les hommes, sans doute, comme un fardeau encombrant.
Mais quel coup de chance qu’il reste un mâle et une femelle de la race pour porter la semence de Terre sur une autre planète ! Et quel triomphe si c’était lui, Guldran, qui allait revenir à la dernière minute avec ce trophée… Pas besoin d’appeler à l’aide. Ce n’était pas une dangereuse troupe de guerriers armés, mais l’être le plus dépourvu de défense de l’Univers – une mère chargée d’un enfant.
Guldran accéléra de nouveau. Ses précédents cris n’avaient servi qu’à inciter la femme à redoubler d’efforts. Il y avait sûrement un mot magique qui avait survécu même aux siècles d’analphabétisme. Quelque chose qui équivalait à « du pain et du sel » pour tous les peuples analphabètes. Mettant les mains à la bouche en porte-voix, il cria : « Nourriture ! Nourriture ! Nourriture ! »
Devant lui, la femme tourna la tête, parut hésiter un instant dans sa course ; elle ralentit un peu mais continua à courir avec acharnement.
Le pouls de Guldran bondit. Il cria encore : « De la nourriture ! »
Dès que son pied toucha la surface cisaillée du piège, il comprit qu’il avait échoué. Alors que son corps s’écrasait sur les pieux aiguisés par le feu, il connut lui aussi la terreur que les derniers hommes de la race humaine avaient fui.
Au-dessus de lui, la femme le regardait avec des dents luisantes de louve. Elle montra du doigt la fosse ; elle s’adressa avec exultation à son enfant.
« Nourriture ! » dit la dernière femme sur Terre.
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